Ce billet doit énormément à notre entretien avec Pascal Gobin à la Médiathèque et au temps de rencontre qui a suivi le 9 avril 2019, lors du Tintamarres #10. Qu’il soit ici vivement remercié. Nous espérons ne pas avoir déformé ses propos.
On était tout ouïes….
Lorsque nous avons rencontré Pascal Gobin le 4 Avril dernier, c’était avec cette question en tête :
« de quoi voulait-il que nous parlions ? »
« Pas de moi”
« Mon nom n’est pas assujetti à la production d’un catalogue d’œuvres particulières » .
“Je suis compositeur et je me revendique comme tel, mais je n’ai pas de catalogue d’œuvres personnelles, ça ne m’intéresse pas ».
D’emblée il évoque sa lutte contre ce qu’il appelle « l’enfermement du travail, qui va « du studio au compositeur et du compositeur au studio ». Il décrira aussi son goût personnel pour la rencontre et l’échange, la pluridisciplinarité, le travail collectif et le travail en commun.
Mais qu’est-ce qu’on va raconter nous ?
On abordera donc les thèmes qui lui tiennent à cœur et surtout quelques-uns des (nombreux) projets qu’il mène…Et il y a de quoi dire !
Curieuses comme nous sommes, (il a fallu un peu fouiller !! ), nous arriverons quand même à glaner quelques informations le concernant :
Pêle-mêle :
- Sa rencontre avec la musique, qui se fera par la guitare électrique et par les variétés. Il en a gardé le goût, puisqu’elles sont toujours présentes dans ses créations. En effet, on les croisera avec l’emblématique « Grand orchestre des variétés expérimentales ».
- Son goût pour le jeu en direct, le spectacle vivant mêlant visuel et sonore, la musique de scène, les créations partagées
- Sa connaissance et ses références à l’œuvre de Pierre Schaeffer. Il en a d’ailleurs lu quelques lignes lors du Tintamarre #10, le 9 Avril .
- Son rôle au sein du MIM(Laboratoire Musique et Informatique de Marseille) dont il fut l’un des membres très actifs. A ce titre, il a collaboré aux recherches sur les Unités Sémiotiques Temporelles. Si vous voulez tout savoir sur les UST, c’est à la Médiathèque qu’il vous faut aller !
- Le nom de compositeur, qu’il revendique pour nommer son travail, même si celui-ci se « concentre autour de travaux qui mobilisent des collectifs ».
- Sa volonté de sortir des cadres et des conventions que le terme de « compositeur » recouvre.
- L’importance du théâtre radiophonique dans son œuvre
Mais compositeur alors , qu’est ce que ça signifie ?
Pour Pascal Gobin, être compositeur implique :
- Un effort de réflexion permanent pour accéder à des fondements musicaux et à ce qui est au cœur des questions de la musique. Cette réflexion il la concrétisera, nous le verrons plus loin, avec la compagnie « l’Art de Vivre ».
- Une attention particulière au geste artistique et aux rapports de l’art au monde. Une réflexion sur des modes de production artistique « autres »
- Le travail en atelier de création (au sein de plusieurs groupes, dont l’harmonie Sainte Victorine est une des réalisations)
L’enseignement :
Pascal Gobin est aussi enseignant au CRR de Marseille, et avec ses étudiants il mène de nombreux projets extérieurs à son cours. Grâce à eux il concrétise tout ce qu’il veut transmettre
Quelques exemples :
- Résidence du Parc : une réflexion autour de la douleur chronique dans un service mêlant des psychologues, de la relaxation, du Yoga, de l’art-thérapie. Cette démarche avait un sens et une cohérence : il s’agissait de réfléchir à l’engagement du corps, très présent dans la musique concrète.
- La Brutbox : “outil de création musicale tout terrain, conçue avec l’association Brutpop, (…) “. Pascal Gobin et ses étudiants étaient en charge de la “conception des objets sonores et des ateliers préparatoires, pour une création musicale et un spectacle en co-conception avec les résidents de l’IME Mont-Riant, Yves Fravega et la compagnie L’Art de Vivre, l’équipe pédagogique et les apprentis du CFA des Métiers du Spectacle (IMMS – Friche Belle de Mai)”.
Compositeur il l’est donc, dit-il, mais en tant que « créateur (et facilitateur) de situations qui permettent que se produise un acte créatif »
Les collectifs auxquels il participe mobilisent des plasticiens et des metteurs en scène. Ils mêlent spectacle vivant et création, artistes professionnels revendiqués comme tels et « des gens qui ne le sont pas » ou des « artistes occasionnels ».
Les projets
La Compagnie l’Art de Vivre :
Aux origines de l’Art de Vivre, il y a « Le biscuit qui craque » , collaboration entre Yves Fravega, Pit Goedert puis Jean-paul Curnier, Guy André Lagesse et Pascal Gobin, pour « bricoler », « apprendre à ne pas savoir faire » . On trouve aussi l’idée que l’art “n’est pas à l’endroit où l’on imagine qu’on peut le trouver”.
La compagnie créée en 1995 est dirigée par Yves Fravega, metteur en scène, et Pascal Gobin, « pour permettre le développement d’un travail de création artistique associant de manière très intime spectacle vivant et création sonore. ».
Mais ce sont eux qui en parlent le mieux
Le comptoir de la Victorine
Créé en 1860, il a d’abord hébergé une manufacture d’allumettes. Il devient en 1920 une herboristerie et un lieu de transformation d’épices. L’Art de vivre et Les Pas perdus y résident depuis 2000. Pour eux, le Comptoir est devenu « Un outil de création artistique de proximité ». Il comprend des bureaux, une salle de répétition, un studio d’enregistrement, un atelier de construction et des espaces de stockage. Depuis 2011, le Comptoir mutualise ses moyens et héberge d’autres associations (une fanfare, des groupes et des associations musicales, une association à vocation sociale…). En 2013, l’Art de Vivre a participé à la création de l’association du Grand comptoir, qui représente les résidents auprès de la Ville de Marseille et participe activement à la gestion, à l’entretien et aux projets de rénovation du Grand comptoir.
L’Art de Vivre, c’est entre autres :
Les variétés expérimentales :
D’abord, L’Harmonie Sainte Victorine: « Atelier de bricolage acousmatique composé d’un groupe hétéroclite de musiciens professionnels, amateurs et occasionnels, en compagnie de Pascal Gobin. », dont les modes de production se font à partir de sons enregistrés. L’harmonie est ouverte aux musiciens professionnels, amateurs et occasionnels. Elle revisite un répertoire de variétés pour donner à entendre des œuvres sonores originales, créées sur des instruments électroniques en s’inspirant de la manière la plus libre de ces standards.
Le Phénomènodrome
En 2003 avec Guy André Lagesse, Pascal Gobin mène un travail avec des personnes en situation de handicap moteur, centré autour de ces questions : « comment amener des personnes en situation de handicap moteur à la scène ? ». « Comment faire jouer ensemble des personnes pour qui la synchronisation du geste est impossible ? ». Avec en arrière-plan une interrogation sur l’un des fondamentaux de la musique : « La synchronisation est-elle un incontournable de la musique ? »
Ce travail a donné le jour au Phénoménodrome.
Quelques mots de présentation :
« L’histoire a débuté par une longue résidence au M.A.S. (Maison d’Accueil Spécialisée) Bellevue à Marseille, de Guy-André Lagesse, et Pascal Gobin, musicien-compositeur, au cours de laquelle ils décident de se lancer,(…) dans l’aventure d’une création particulière. Depuis janvier 97, un groupe de personnes à mobilité réduite et d’artistes se rencontrent en partenaires et travaillent à la fabrication de mobil-homes poétiques à partir de fauteuils motorisés. Chaque fauteuil roulant devient une sculpture ambulante, une sorte d’habitation mobile autonome, extensions du monde imaginatif et artistique de chaque participant, ils sont équipées pour projeter des images, diffuser du son et de la lumière.
Selon les mobil-homes y sont installés : des vidéo projecteurs, des amplificateurs, des haut-parleurs, des ordinateurs portable, des programmes informatiques conçus pour l’occasion et des contrôleurs analogiques reliés à des synthétiseurs et échantillonneurs »
Les “mobile-homes” composent, jouent et diffusent des séquences d’images et de sons. En se servant d’appareillages technologiques, utilisés quotidiennement par les personnes à mobilité réduite , nous développons et fabriquons une lutherie électronique adaptée aux conditions imposées par leurs handicaps. Il est question de mettre en valeur ces gestuelles singulières dans leurs formes et dans leurs rapports aux temps pour en dégager les éléments d’un langage poétique. »
Ici le handicap n’est plus vu comme invalidant, mais comme une « possibilité de gestuelle alternative pour la musique ».
Si vous voulez en savoir plus,on trouve trace de ce « bon moment » ici :
Treatise et Acustica
Les variétés expérimentales ce sont aussi un travail sur Treatise de Cornelius Cardew, et Acustica de Maurizio Kagel. On les retrouve là . Ces deux œuvres ont été représentées en 2017 à l’Embobineuse
Les délices de la Cuisine ordinaire
Ils sont nés d’une « résidence de création partagée » de la Compagnie l’Art de Vivre à Saint-Priest de 2007 à 2009. Il s’agissait de mettre en œuvre un projet intitulé « L’Archipel des Arts occasionnels ». Les délices de la Cuisine ordinaire ont été réalisés entre Janvier et Novembre 2008. A cette occasion l’équipe de l’Art de Vivre a collecté les recettes favorites de certains habitants. Ces recettes ont été un prétexte à la création de garnitures sonores. L’expérience a été renouvelée dans les hautes Alpes et à Marseille. Pour tout voir, tout savoir, et se régaler (car il s’agit de vraies recettes, réalisables), c’est par là
Le MIMAA
C’est à Saint-Priest aussi que l’Art de Vivre a créé le Musée de l’Imaginaire, de la Mémoire et des Arts Approximatifs (MIMAA). La résidence de 4 ans (2009-2013) mêlant ateliers d’écriture, de création sonore et d’art plastique menés en parallèle a abouti à la création d’un musée et d’artistes dont les participants racontent l’histoire. Toute la matière sonore a été fabriquée lors d’ateliers d’improvisation avec des artistes amateurs. Le MIMAA, c’est là
Les rencontres
La compagnie a pris en charge la direction des « Rencontres de haute Romanche » entre artistes professionnels et habitants – entre spécialistes et artistes occasionnels. L’équipe de l’Art de Vivre les a imaginées comme « un laboratoire de démocratie artistique », un espace d’expérimentation, d’expression et de promotion de formes de co-création – ou création partagée – dans leur plus grande diversité, leur plus grande audace, leur plus grande poésie
C’est pas la fin, mais on conclut
C’est pas la fin, non, il y aurait encore tant de choses à dire ! Mais nous terminerons ce long billet par le plus actuel des projets de l’Art de vivre :
Saint Mauront je vous aime
Inscrit dans le cadre de MP 2018, ce projet réunit cinq structures et associations culturelles : L’Art de vivre, Les Pas Perdus, KLAP Maison pour la Danse, Les Têtes de l’art et le Théâtre Toursky autour d’une déclaration d’amour au quartier dans lequel elles résident.
La manifestation aura lieu le 14 avril 2018. Elle a « pour ambition de révéler le potentiel sensible et la poésie du quotidien de ce quartier et de l’irriguer de propositions artistiques visuelles, textuelles, musicales et vivantes autour du thème, infini et large, de l’amour. » (Source : Le théâtre Toursky ). La journée réunira des habitants du quartier, des artistes et des spectateurs et sera organisée autour de propositions artistiques pluridisciplinaires et d’une balade urbaine ponctuée de trois temps forts festifs : café, goûter et apéritif .
Il est difficile de ne pas conclure ce billet sans parler de l’incendie du comptoir de la de la Victorine le 24 Février, et de la perte dramatique qu’il entraîne pour les résidents. En effet, bien qu’hébergées momentanément par la Friche, les associations risquent de voir cesser leurs activités faute de locaux stables et de soutien suffisant. Les têtes de l’art appellent à la mobilisation pour le relogement de tous les résidents : tout est là