Paru en 2022 aux éditions Jarjille, Microsillons s’inscrit dans la collection Autobio de cette dynamique maison installée à Saint-Étienne. C’est avec le regard d’un quinquagénaire qui « a enfermé ses sentiments toute [sa] vie dans des cases », que Yann Madé se prête à l’exercice : tracer le parcours d’un garçon qui a grandi et travaillé entre Martigues et Marseille en traversant la fin des années 70 et les décennies suivantes sans jamais lâcher sa passion vitale pour la musique.
Pour tirer les fils et les lignes de force qui ont construit son auteur, Microsillons se compose en triptyque : Disque, Dessin, Danse. Un rythme ternaire qui irait bien pour dire « laisse aller, c’est une valse » car finalement, c’est bien la vie qui passe. Donc les fils se chevauchent, se tissent et se nouent : la lecture est parfois sinueuse, quelque chose se passe mais on ne le réalise qu’après coup, on avance, on creuse un sillon, on s’arrête, on reprend.
Les couleurs sont ponctuelles (quelques touches de sépia, de gris et de bleu réparties par le triptyque) ; le trait énergique traduit admirablement le mouvement (la danse, les déambulations, les errances) aussi bien que les instantanés figés par le temps (le flash d’un souvenir, d’une situation, d’une réflexion). Le texte est conséquent, les bulles sont nombreuses et les pages sont émaillées de paroles de chansons. Finalement, les fameuses cases de Yann Madé sont ici surtout celles des pochettes de disques. Un festival de vignettes défile, et tout y passe : rock, new wave, rap, chanson française, punk… L’auteur convoque et fait (re)surgir toute une histoire musicale qui saisira les lecteurs amateurs de pop culture – qu’ils aient, ou non, plus de cinquante ans.
Mais l’un des tours de force de Microsillons est son aspect très personnel qui déjoue cependant les pièges de la nostalgie comme du catalogue discographique érudit. Ici, on nous livre une histoire sincère et émouvante qui sait manier l’humour et l’autodérision lorsque les choses deviennent intimes, sérieuses, voire graves.
Car si l’acte de dessiner sa vie permet de prendre de la distance, cela permet aussi de regarder en face celui qu’on a été et celui qu’on est devenu. Sans nombrilisme (Yann Madé célèbre la rencontre et le partage), ancré dans la réalité (le monde comme il va), l’auteur se met en scène en individu pas vraiment perdu mais un peu secoué par la vie quand même.
Il trace et retrace son chemin. L’adolescence, les rapports homme-femme, la masculinité, le couple, l’art et la paternité sont tour à tour questionnés par la BD. Elle est l’outil et le résultat de ce questionnement.
Et puis un gros riff de guitare déboule, la Mano Negra résonne, le Wu Tang Clan vous rattrape, le Massilia Sound System plante sa ritournelle et Bashung prend le volant. Il pleut des disques et des souvenirs de concerts. Pourtant « vous savez c’est bien connu…la vie quotidienne n’a pas d’histoire. Donc pas de bande-son ».